[SS&SS] Quand on arrive en ville

Ceci est un rapport de partie de Sellswords & Spellslingers que nous avons joué, Szigma, Seb, Igor, Nhawkfen, avec la charmante participation de Ned, sous le patronage de screamX en tant que maître du jeu. Cette partie fait suite à la partie résumée dans cet article.

Pour cette partie, screamX a une fois de plus fourni les figurines d’aventuriers, une partie du bestiaire et bien sûr le scénario. Pour le reste des éléments (PNJ, décors, bestiaire), il avait également vu en privé avec chacun d’entre nous ce que nous pouvions apporter pour enrichir son scénario, permettant de garder un maximum de surprises pour chacun d’entre nous.

Bonne lecture !

La ville de Cadèna se rapprochait de nos aventuriers alors qu’ils progressaient dans la plaine. Les toits de tuiles et d’ardoises dépassant des maigres remparts créant au loin une masse étendue parmi les champs verdoyants.

Le cahin-caha du chariot de marchand dans lequel ils avaient pris place n’avait pas empêché l’ogre Brutogg de s’endormir sur un sac et ses ronflements sourds résonnaient depuis plusieurs heures. Emelda, qui avait quitté son armure de templière pour la durée de ce voyage vers le sud, poussa la brute de son talon à plusieurs reprises en maugréant, espérant vainement que les ronflement cesseraient. Jelsen sourit devant le tableau et il senti Dagnai le pousser discrètement du coude en pouffant. Il baissèrent tous deux la tête pour masquer leurs ricanements.

Durant les quelques jours passés au village avant leur départ, alors que Dagnai apprenait l’art des pièges auprès du paysan Ghetno et que Jelsen cuvait son hydromel, Emelda et Brutogg passèrent de plus en plus de temps ensemble, souvent à s’entraîner, parfois à simplement se tenir compagnie. La templière semblait décidée à lier un lien avec l’ogre, peut-être pour atténuer son caractère impulsif et indépendant, et l’ogre semblait enclin à jouer le jeu, se laissant amadouer.
Leur rapprochement sauta rapidement aux yeux du répurgateur et du traqueur nain, ainsi que les regards de l’ogre sur les formes de la templière qui en disaient long sur ses aspirations naissantes. Sachant la templière peu portée sur les affaires de cœur et encore moins sur la bagatelle, les deux compères gardèrent le silence sur le malentendu qu’ils voyaient s’installer, ne sachant pas comment aborder le sujet avec les concernés mais également parce-que l’affaire les faisait bien glousser.

Une fois arrivés aux portes de la ville, les aventuriers quittèrent leur moyen de locomotion et remercièrent leur chauffeur d’une belle pièce. Ils entrèrent dans la cité le pas léger, les gardes présents ne cherchant pas à les désarmer ni même à vérifier leurs biens. Dagnai s’étonna de l’allure de ces derniers :
« Voyez ces pauvres gars, dit-il tout bas, Leur allure est aussi miteuse que la ville semble prospère.
— C’est peu habituel en effet, répondit Emelda. Peut-être que l’essor de la ville est récent et que la garde n’a pas eu les moyens de s’organiser en fonction ? Ou alors une pègre quelconque tient la ville ?
— Alors restons sur nos gardes, conclut le nain. »

La journée était déjà bien avancée et la ville grouillait d’activité. Des passants de toutes sortes, artisans, bourgeois et paysans se croisaient, vaquant à leurs occupation, se saluant parfois, s’ignorant d’autres. Les étals parsemaient la rue, vendant pour la plupart de la nourriture, de quoi se vêtir ou quelques outils. Les murs des habitations étaient de pierre au rez-de-chaussée, puis en torchis voire en simple bois dans les étages, signe qu’en grossissant la ville s’élevait en hauteur pour ne pas sortir des remparts existants. Les rues n’étaient pas larges et deux chariots s’y seraient difficilement croisés. Beaucoup de petites ruelles sinuaient entre les habitations.

Ils notèrent sans mal les tas de paille, sacs éventrés et autres détritus dans les ruelles les plus sombres, à l’abri de regard des passants. Brutogg s’approcha de l’un d’eux et fouilla vaguement dedans en écartant les premières couches du manche de sa masse. Un éclat de lumière indiqua à l’ogre la présence d’un objet en verre au milieu des déchets, qui se révéla être un flacon remplit d’un liquide bordeaux, étiqueté « Possion de soins supairieur – Garantit par Mestre Lambing« . Ravi de sa trouvaille, Brutogg entreprit de ratisser pour de bon le tas d’immondices, mais dépassé par l’ampleur de celui-ci, il finit par se prendre les pieds dans les débris de sacs et chuta lourdement au sol. Après s’être relevé et avoir bien pesté, il reparti dans la rue principale retrouver ses compagnons, qu’il rejoignit quelques dizaines de mètres plus loin. Ces derniers s’étaient arrêtés devant l’étal gargantuesque d’une dame qui l’était tout autant. Les joues poudrées à l’excès, elle allait et venait avec vivacité derrière sa devanture. Son embonpoint particulièrement prononcé ne semblait pas la gêner, pas plus que le gros lézard pendu à son épaule à la manière d’un sac de dame, attaché par la queue et la gueule. Lézard vivant, nota l’ogre. De sa voix aiguë, la marchande haranguait les passants, les invitant à venir contempler ses marchandises. Les compagnons de l’ogre avaient mordu à l’hameçon.

« Deux cents pièces !? Mais voyons vous n’êtes pas sérieuse ma petite dame ! vitupéra Dagnai. Elle n’en vaut pas la moitié votre arbalète ! Si l’arc était en chêne, à la limite j’en donnerais cent cinquante, mais c’est du châtaigner ! Une fronde tirerait plus fort !
— Vous n’allez pas m’apprendre mon métier, mon gars ! Répondit la vendeuse sans même regarder le nain. Elle vaut le prix que j’en demande, et j’en demande deux cents pièces, pas une de moins. C’est une excellente arme et je vous mets au défi d’en trouver une d’aussi bonne facture dans cette cité.
— Tsss ! On voit bien que vous vous intéressez davantage à les vendre qu’à les utiliser. Les finitions sont grossières ! À croire que c’est l’œuvre d’un apprenti. Allez, je vous en donne cents pièces, topez-là ! »
La femme jeta un œil dédaigneux à la main que Dagnai s’échinait à tendre tant bien que mal vers elle par-dessus l’étal et parut hésiter, mais se ravisa en se retournant, répondant avec un « non » sans équivoque.
« Permettez, gente dame, intervint Jelsen en arborant son sourire le plus charmeur. Si vous vendez à bon prix, j’imagine que vous achetez aussi à bon prix.
— Tout dépend, répondit-elle en le jaugeant du regard. Qu’avez-vous à proposer ? Et rangez ce sourire de gendre idéal, ça ne marche pas avec moi. Montrez moi plutôt vos marchandises.
— J’ai ça, qui devrait intéresser une dame d’aussi bon goût que vous, minauda Jelsen, s’évertuant à jouer le charmeur tout en exhibant une des gemmes jadis ramassées sur le cadavre du golem. »
Interpellée par l’éclat de la pierre, la femme se tut et la saisit délicatement pour mieux la contempler à l’éclat du soleil.
« Hum… Joli caillou en effet. je peux vous en donner un bon prix. Disons 80 pièces.
— 100. Répondit Jelsen.
— 90. Pas une de plus.
— Et si j’en ai d’autres ?
— Même qualité, même prix.
— Ça me va ! coupa Jelsen, faisant rouler cinq autres gemmes sur le comptoir.
La marchande écarquilla les yeux et jeta un foulard de son étal sur les pierres pour les cacher au regard des passants.
— Joli trésor que vous avez là mon gars. Vous sortez ça d’où !?
— Vous me croiriez pas. Et même si, vous n’iriez pas en chercher d’autres, répondit Jelsen avec un clin d’œil pendant que la marchande farfouillait dans de multiples bourses cachées dans ses jupons, pour finalement en constituer une relativement pleine qu’elle tendit au
— Voilà pour vous. »
Dagnai et Brutogg ne laissèrent pas le temps à Jelsen de la remercier qu’ils présentèrent à la dame les gemmes qu’il leur avait confié, ainsi qu’une vieille épée rouillée récupérée récupérée par l’ogre dans une précédente mission. La femme acheta les pierres au même prix et n’offrit qu’une malheureuse pièce pour l’arme. Emelda posa elle aussi ses deux gemmes sur le comptoir, mais laissa sa main posée dessus et annonça son prix.
« 100 pièces chacune.
— Non ma jolie, 90, comme pour tes camarades.
— Je ne suis pas en train de discuter le prix, je l’annonce. »
La marchande eut un petit sourire en coin et glissa en silence une bourse à la templière, qui lui rendit son sourire avant de s’en retourner.

Brutogg observait en souriant le tas de pièces au fond de sa bourse et exprima sa satisfaction.
« Entre ces pièces et le poisson, c’est plutôt une bonne journée.
— Quel poisson ? Demanda le nain.
— Celui-là, répondit l’ogre en sortant la fiole trouvée plus tôt. C’était jeté dans des poubelles.
— Un poisson ? Fais voir. Intervint Emelda en prenant la fiole des doigts de son propriétaire. »
Elle l’examina quelques secondes avant de lâcher un sourire et de la tendre au nain, l’étiquette en évidence :
« J’ai crains que notre ami ai mal lu le « poison », mais non, c’est une potion. Et tu as trouvé ça où exactement ?
— Là-bas. Répondit Brutogg en désignant d’un mouvement de tête la ruelle en question. C’est pas un poisson alors ?
— Eh non, pouffa Emelda, c’est une potion de soin. Bien plus utile qu’un poisson. Voyez, la maison qui jouxte la rue semble être celle d’un alchimiste. Allons voir ! »

Les trois autres compagnons jetèrent un œil à la pancarte qu’Emelda avait désigné du doigt avant de s’éloigner. Fixée de manière sommaire au-dessus de la porte d’une bâtisse elle arborait en lettres rouges sur le bois brut les mots « Mestre Lambing – Alchimiste et mes Rites ». Lisant la pancarte après avoir lu l’étiquette du flacon par-dessus l’épaule du nain et emboîtant le pas de la templière, Jelsen ricana et railla l’alchimiste en question auprès de son ami nain :
« Espérons que le mestre est plus doué en alchimie qu’en lettres. »

A peine entrés dans la demeure, les aventuriers furent pris à la gorge par les vapeurs de produits qui chargeaient l’air ambiant. Elles étaient émises par divers alambics et autres appareils bricolés à base de récipients mais surtout de tubes et de bougies et qui encombraient les quelques meubles présents mais surtout le sol lui-même. Des volutes de différentes couleurs embrumaient la pièce et, malgré la hauteur apparente de la pièce, il était difficile d’en apercevoir le plafond tant l’air était chargé en gaz et vapeurs.
Dans le fond de la pièce, une silhouette encapuchonnée se retourna vers les aventuriers. Elle portait un de ces masques en forme de bec d’oiseau qui se portent en temps d’épidémie. Ils reculèrent tous en se protégeant le nez et la bouche tantôt du coude, tantôt de la main, alors que la silhouette avançait vers eux en faisant de vagues gestes. Les mots que l’individu prononçait étaient incompréhensibles, étouffés par le masque.

Arrivé à leur hauteur, dans un geste d’agacement, il en releva le bas pour libérer sa bouche et être enfin compris :
« Mais ne vous inquiétez pas, vous dis-je ! Entrez donc ! Vous ne craignez rien ici ! Moi je me protège parce-que je passe mes journées ici et, à force, les vapeurs me donnent des migraines. Ce masque est ce que j’ai trouvé de plus efficace, au détriment de l’accueil qu’il me permet de faire… Mais passons. L’alchimiste, son masque toujours placé à moitié sur son visage, afficha son sourire le plus vendeur. Soyez les bienvenus dans mon humble échoppe. Que puis-je faire pour vous ?
— Bien le bonjour, Mestre. Nous aimerions savoir si vous avez quelques informations sur ce type de cristal ? Demanda Emelda en tendant à l’alchimiste un des cristaux trouvés lors de la confrontation avec les démons dans la forêt.
— Oh oooooh… s’exclama l’homme en faisant délicatement tourner le cristal entre ses doigts. Alors ça, c’est pas commun ! Comment vous avez mis la main là-dessus ?
— Disons que le hasard l’a mis sur notre route et nous aimerions en savoir davantage, répondit nonchalamment la templière.
— Ben voyons… Je n’en sais malheureusement pas beaucoup sur ces pierres. Je sais juste qu’elles sont d’origine magique et qu’elles sont la matière première pour la forge d’armes auxquelles on prête des caractéristiques magiques, voir miraculeuses. Mais tout ça, si vous voulez mon avis, ça tient plus du mythe que des faits. Ces pierres ne se trouvent plus depuis des éons. Il parait que certaines familles riches en ont dans leurs trésors, ce qui ne me semble pas impossible. Mais pour l’existence factuelle d’armes issues de ce matériaux, on a aucune preuve, seulement quelques vagues écrits anciens, donc sujets à interprétations. Et des chansons de bardes.
— Donc, intervint Jelsen, il suffirait d’amener ça à un forgeron et de le lui faire incorporer dans une arme ?
— Ho ho, houla non ! se gaussa l’alchimiste. Vous allez vite en besogne mon seigneur. Il est dit que le cristal doit avant tout subir un traitement spécial, dont la recette, si elle a jamais existé, est sûrement perdue… Mais l’alchimie des pierres n’est pas mon fort, peut-être qu’un spécialiste saurait vous en dire davantage. Quant à la forge en elle-même, il est question d’une forge alchimique et d’un forgeron maître de cet art. Ces hommes là font des merveilles soit dit en passant. En tout cas ce n’est pas à la forge du coin de la rue que vous trouverez un tel savoir-faire… Qui plus est, entre nous, les frères Tubard sont des escrocs !
— Vous nous en apprenez déjà énormément, mestre. Répondit Emelda en souriant, tenant de flatter l’alchimiste pour le faire parler davantage. Vous sauriez peut-être aussi auprès de qui nous pourrions obtenir de plus amples informations ?
— Vous orienter ailleurs, dans les environs, ce serait prendre le risque de vous envoyer vers des charlatans. J’ai bien en tête deux endroits où vous devriez chercher si vous voulez vraiment avancer sur ce sujet, mais l’accès en est compliqué, et l’expliquer tout autant…
— Pour ma part je suis sûr que nous saurons retenir vos indications, coupa Jelsen avec un sourire.
— Oh, que vous les reteniez n’est pas un soucis non, mais il me faudrait être précis et cela prend du temps. Un temps que je n’ai pas, comprenez… Mes potions nécessitent une surveillance de chaque instant, sans quoi elles se perdraient…
— Bon d’accord, on a compris ! Pesta Dagnai en s’avançant. Vous voulez combien ?
— 50 pièces, répondit derechef l’alchimiste. »

Dagnai se tourna vers ses compagnons pour voir si l’un d’eux s’opposerait à la transaction, et constata que non.
« Vendu. On vous écoute.
— 50 pièces, et vous m’achetez quelque chose, une potion ou une prestation.
— Et ce sont les forgerons du coin que vous traitez d’escrocs ! ricana Jelsen.
— Ah non ! s’emporta l’alchimiste, ne me comparez pas à ces bouseux ! Mon art est noble au moins ! Disons plutôt que je vous… invite… à… soutenir… le commerce local ! Voilà. Tenez, par exemple, vous monsieur, avec votre attirail de chasseur de sorcières.
— De vampires ! S’offusqua Jelsen.
— Oui, si vous préférez, acquiesça l’alchimiste en levant les yeux au ciel. Que diriez-vous d’une belle saignée d’argent sur votre lame ? C’est rudement efficace contre les créatures de la nuit. Je vous fait ça pour 30 pièces. C’est un bon prix.
— A ce prix là, on va pas se contenter de paroles, gronda Dagnai. Vous allez nous faire une carte.
— Soit… Obtempéra l’alchimiste à contre cœur. Je peux vous renseigner pour l’alchimiste, mais pour le forgeron faudra vous débrouiller seuls. »

Une bonne heure s’était écoulée lorsque les aventuriers sortirent de la demeure de l’alchimiste. Heure durant laquelle ils étaient restés dans les vapeurs de produits chauffés à ébullition, à regarder leur hôte s’affairer tantôt à mettre un lingot d’argent à fondre, tantôt à pratiquer une saignée dans la lame de l’épée de Jelsen, ou encore à fouiller parmi ses meubles à la recherche d’un parchemin vierge pour y tracer une carte grossière en tirant la langue, comme un enfant de cinq ans lorsqu’il s’applique. Et enfin à l’observer couler délicatement l’argent dans la lame de l’arme, la dotant de propriétés anti-non-mort pour un prix que Jelsen trouvait finalement fort avantageux.
Avant de sortir dans la ruelle, Brutogg, qui avait gardé le silence tout du long, se tourna vers l’alchimiste et le pointa du doigt :
« Toi… Arnaquer mes copains alors que je suis là… Tu les as bien accrochées. »
L’alchimiste se raidit et sentit la sueur commencer à couler sous sa tenue alors qu’il cherchait quoi répondre.
« Euh… Merci ? »
Et l’ogre referma la porte derrière lui en sortant dans la ruelle. Emelda se retourna vers lui et lui sourit :
« J’ai sentis ton envie de dévaster son atelier. Mais tu t’es retenu. C’est bien mon ami. Tu es fort de plus en plus fort dans ta tête, le félicita-t-elle.
— Pas que dans ma tête. »

La réponse de l’ogre provoqua chez Dagnai et Jelsen des rires irrépressibles qu’ils eurent le plus grand mal à cacher à la templière. Le rire s’effaça du visage du nain lorsqu’il regarda derrière eux. Il fit à nouveau face à ses compagnons :
« Ne regardez surtout pas en arrière, mais on est suivis.
— Tu es sûr ? Demanda Jelsen.
— Venant d’un traqueur nain, prends le pour acquis, le rabroua gentiment la templière.
— Certain. Deux maisons plus haut il y a quatre gaillards qui font mine de discuter, mais je suis sûr qu’ils nous surveillent. Je les ai remarqués aux portes de la ville quand on est arrivés, ils nous observaient descendre de la charrette et nous rééquiper. Et maintenant ils sont là, pas loin derrière nous. Je les ai d’abord pris pour une milice locale parce-qu’ils sont mieux armés et ont l’air plus endurcis que les gardes de la ville. Mais ils sont habillés simplement, avec des gilets de laine et des étoffes pauvres et n’ont aucune pièce d’armure. Je doute que ce soit des mercenaires. plutôt une troupe de brigands.
— Et tu ne crois pas que le fait que l’on soit arrivés en charrette ai quelque-chose à voir avec ça ? demanda Emelda.
— En quoi ? S’étonna Jelsen
— Ben on est quand même arrivés en ville en charrette… Je suis la seule choquée ? Tu as déjà entendu parler d’un chevalier se déplaçant en charrette, toi ? rétorqua Emelda avec une mou de dégoût. Depuis le départ je vous disais que c’était une mauvaise idée cette charrette. Voilà où ça nous a mené.
— Oui, bon, là n’est plus la question en tout cas. Coupa Dagnai. On fait quoi pour nos suiveurs ?
— On les cogne.
— Non, Brutogg… N’oublies pas. La violence en dernier recours. Prends sur toi mon ami.
— Ah ben là il prend bien sur lui je trouve ! intervint Jelsen. Le Brutogg d’il y a quelques mois serait déjà en train de leurs faire cracher leurs dents.
— Bien vrai ça ! Arh arh arh ! répondit l’ogre, riant de bon coeur.
— Ne restons pas là, trancha le nain en poussant ses amis vers l’avant. Avançons. n’éveillons pas l’attention… Je vais quand même leur poser un petit traquenard là, au cas où. »

Farfouillant dans une de ses besaces, il laissa discrètement tomber au sol une petite dizaine de chausse-trappes. Le léger tintement des pièges métalliques rencontrant le sol alerta un garde non loin qui s’empressa de sermonner le traqueur nain et le contraint à ramasser ses pièges d’un air penaud, sous les railleries de ses compagnons.

Arrivés au bout de la rue, les aventuriers découvrirent que celle-ci débouchaient sur une autre des principales artères de la cité, bien plus fréquentée que la précédente. Ils repérèrent dans la cohue d’autres individus aux atours de brigands, souvent par groupe de deux ou trois. Brutogg ne s’en émut pas et commença à descendre la rue, se frayant un passage dans le flot de passants. Jelsen tenta de le suivre mais un passant encapuchonné le percuta sans douceur. Un reflet lumineux apparût subitement sous la cape du passant,et Jelsen, d’un réflexe, para un vicieux coup de couteau destiné à ces côtes. Faute d’arme en main, un réflexe du même acabit permit au répurgateur d’asséner un violent coup de tête dans le nez de son agresseur qui recula de quelques pas sous le choc, le nez cassé et le visage en sang. Alors qu’Emelda et Dagnai réalisaient tout juste ce qui se passait celui-ci dégaina rapidement son épée, pour voir son agresseur s’enfuir en bousculant les passants sur son chemin.

« Hé là ! Vous, avec votre chapeau ! Rengainez-moi cette lame si vous ne voulez pas d’ennui !
— Pardon !? S’offusqua Jelsen en se retournant vers le garde qui l’interpellait. Je viens de me faire attaquer et c’est à moi que vous vous en prenez ?
— Alors là mon gars, j’aime pas beaucoup qu’on me réponde. Tu vas tâter de ma punition ! grogna le garde, s’approchant matraque à la main.
— Viens-y donc, malotru, murmura Jelsen les dents serrées de colère et raffermissant la prise sur son épée. J’en ai occis de bien plus épais que toi.
— Jelsen, faisons profil bas, c’est un garde, et il a beaucoup d’amis. Ranges donc ton épée et… »

Emelda fut interrompue par l’attaque soudaine d’un épais gaillard, que la templière esquiva de justesse. Se refusant à sortir son épée pour ne pas tuer son assaillant et se mettre la garde à dos, elle lui asséna un violent coup de pied au niveau du genou, le lui faisant mettre à terre.

« Arrêtez tout de suite bande de scélérats ! Hurla le garde. Je n’aurais aucune pitié ! »
Sur ces mots il se saisit de l’arbalète qu’il portait en bandoulière, l’arma rapidement et tira au jugé en direction d’Emelda et de son assaillant. Le tir fut si mauvais que le carreau passa loin au-dessus des têtes et se ficha dans une toiture. Abasourdie par ce qu’elle venait de voir, la templière sentit la colère l’emporter.
« Ces idiots de gardes sont aussi dangereux que les brigands. Au diable la geôle, hurla-t-elle en sortant enfin sa lame, nos vies seront chères à prendre ! »
Dagnai l’imita sans dire mot et, hache à la main, entreprit de couvrir l’arrière de ses compagnons. Le brigand mis à mal par Emelda s’était relevé et se jeta une nouvelle fois sur la templière. Avant qu’elle puisse réagir, une silhouette s’interposa, encapuchonnée et vêtue d’un vieux manteau usé. Une lame brillante surgit du manteau, para habilement l’attaque du brigand, et vint l’embrocher jusqu’à la garde, en plein dans l’œil, sous les regards médusés.
« A moi la garde ! Hurla le garde ! A moi !!! »

L’inconnu rabattit son capuchon d’un mouvement de tête, laissant apparaître une visage d’homme fin, mais buriné par le temps et le soleil, mais aussi par la vie elle-même. Ses cheveux courts avaient couleur de sel, tout comme sa barbe, vieille de quelques jours. Malgré son âge apparent, il se tenait droit, le port altier, et sa voix résonna avec la force de la justice :
« Cesses donc de piailler tel une volaille, sermonna-t-il le garde, est-ce ainsi que tu défends ta cité !? »
Puis, se tournant vers les quelques brigands qui s’avançaient pour continuer l’œuvre de leur comparse :
« Approchez mes mignons, venez recevoir votre sentence. Soyez assurés que je l’appliquerais avec zèle. Et vous, souffla-t-il aux aventuriers, fuyez avant qu’ils ne vous tuent pour de bon. »


« Hep, mon gars, Viens voir par là ! » Brutogg, qui descendait la rue en longeant les maisons sur sa droite, se retourna vers l’origine de la voix, mais ne vit personne.
« Hé oh ! Je suis là. » Une petite ruelle étroite et sombre s’ouvrait devant lui, mais il n’y décelait pas âme qui vive.
« Mais baisses donc la tête, gros andouille ! » Il s’exécuta et eu la surprise de voir apparaître à ses pieds, juste à l’entrée de la ruelle, un tout petit homme, ne lui arrivant même pas à la ceinture. C’est seulement au bout de plusieurs secondes qu’il compris que l’homme avait été privé de ses jambes et qu’il se tenait dans une sorte de caisse en bois, munies de roulettes.
« Salut mon gars ! T’es nouveau en ville, non !? Un grand gaillard comme toi, j’l’aurais vite remarqué avant, T’as pas une petite pièce pour un gars dans le besoin !?
— Non. Lâcha l’ogre d’un air détaché, sans quitter le petit chariot des yeux.
— Allez quoi ! Tu vois bien que la vie a pas été tendre avec moi… Les rats s’en sont pris à moi y’a quelques années. J’ai pu m’en sortir, mais ils ont pris mes jambes. Depuis j’peux plus travailler… Alors j’suis là tous les jours, à mendier… Sois sympa, juste une pièce pour un homme en galère.
— Non. »
Brutogg se grattait maintenant le menton, l’air pensif, le regard dans le vide. Jelsen arrivant en courant, vint se réfugier derrière lui :
« Oh mon gros ! Si tu savais comme je suis content de te voir ! Les brigands que Dagnai a repéré, ils sont bien là pour nous. Ils nous ont attaqué quand tu es parti devant. » Les mains posées sur les genoux, le rédempteur reprit brièvement son souffle.
« C’était n’importe quoi ! Un garde a voulu tirer dans le tas, un passant a sorti une épée et à presque décapité un des brigands. Enfin je crois que c’était un des brigands… J’en sais rien, c’était la cohue, on s’est barrés en courant quand d’autres passants s’en sont mêlés. J’ai vu Emelda entrer dans une forge, Dagnai est sur mes pas je cr… »

Le regard du rédempteur se porta enfin sur le mendiant et marqua un arrêt dans le flot de ses paroles.
« Ben… Qu’est-ce qui vous est arrivé à vous !?
— Salut l’ami ! T’aurais pas une pièce pour m’aider ? Des rats m’ont bouffé les jambes à l’époque, quand je bossais dans les égouts. Depuis j’peux plus travailler et, bon dieu, hors de question que je retourne dans ces foutus égouts !
— Des rats !? Mais… Vous avez pas des pièges ou du poison pour ce genre de vermine ?
— Ah non mais moi j’te parle pas de ces rats là. Ceux que j’ai vu c’étaient leurs chefs !
— Ah ! De gros rats alors, j’imagine.
— Grands comme… Comme… Comme le nain qui arrive en courant là-bas ! S’exclama-t-il en désignant du doigt Dagnai arrivant au petit trot. Des rats qui se tenaient sur leurs pattes arrières, avec des armes ! »
Jelsen et Brutogg froncèrent les sourcils de concert en écoutant l’homme, avant de pousser un long soupir.
« N’importe-quoi… Conclut le répurgateur. »

L’ogre asséna alors une énorme gifle au mendiant, qui tomba aussitôt dans les pommes, sous le regard médusé de Jelsen. Brutogg leva ensuite l’handicapé d’une main et récupéra son chariot avant de le reposer dans les pavés.
« Mais ! Pourquoi tu as fais ça !? S’offusqua le répurgateur.
— Il parlait trop. Et je voulais ce truc. dit-il avec un sourire, se glissant le chariot à roulettes sous le bras.
— Tu pouvais pas le lui demander ? Ou le lui acheter ? Et qu’est-ce que tu comptes faire de ça ?
— Pourquoi acheter quand je peux me servir ? Et j’ai plein d’idées pour ce bijou ! »
Dagnai arriva enfin à leur hauteur, préférant faire mine de ne pas avoir vu l’exaction.
« Sacré bordel là-haut, dit-il le souffle court, jetant son pouce par-dessus son épaule pour indiquer le carrefour d’où ils arrivaient. Un autre inconnu s’est joint au vieux, et à deux ils font un sacré ménage, y compris dans les poches de leurs victimes. Mais j’ai vu d’autres de ces brigands les contourner et nous chercher. Ils sont nombreux, on ne pourra pas leur échapper longtemps.
— Alors on va les défoncer !» Conclut Brutogg avec un sourire carnassier.


La façade du bâtiment était trompeuse, il ne s’agissait pas d’une simple échoppe. Emelda était entrée chez ce forgeron avec précipitation, fuyant les évènements de la rue et surveillant ses arrières.. Elle pensait se retrouver dans une de ces habituelles boutiques sombres mais sa surprise fut de taille lorsqu’elle découvrit que le mur du fond de la pièce était absent et que celle-ci s’ouvrait sur une longue cour abritée. Trois hommes y affûtaient des lames sur des pierres et des lanières de cuir et au fond de la cour une porte à double battant grande ouverte donnait sur un bâtiment d’où résonnaient le bruit de soufflets et de coups de marteaux sur des enclumes. Un homme installé dans un coin de la pièce déposa l’arme dont il huilait le cuir sur une table toute proche et s’approcha de la templière :
« Bien le bonjour ma dame. En quoi puis-je vous aider ? »

Le regard de l’homme se promenait sur Emelda et celle-ci se préparait à le sermonner lorsqu’elle comprit que ce n’était pas vraiment elle qu’il regardait, mais plutôt l’équipement qu’elle portait.
« Je ne cherche rien de particulier à vrai dire… Disons que le hasard m’a amenée ici.
— Alors permettez-moi de vous dire que le hasard ne se trompe pas. Je vois que vous aimez la qualité, vous êtes au bon endroit pour vous faire plaisir.
— Tous ceux qui ont quelque-chose à vendre disent ça, répondit-elle avec un sourire.
— Sauf qu’ici vous en aurez réellement pour votre argent, répliqua-t-il dans un rire. Soyez la bienvenue chez les frères Tubard, forgerons depuis quatre générations.
— Tiens donc, on m’a déjà parlé de vous…
— Un de nos voisins aurait-il à nouveau fait notre éloge ? Demanda le forgeron avec un large sourire.
— Je n’ai pas vraiment pris ça comme un éloge, non… »
L’homme laissa éclater un rire sonore, franc.
« Ah ah ah ! D’accord. Laissez-moi deviner, vous êtes passés chez Mestre Lambing ! Ahlala ! Quel vieux fourbe celui-là.
— Vous connaissez bien votre voisinage à ce que je vois.
— En effet, et croyez bien que c’est le seul qui vous fera ce genre de retour sur nous. Je vous fais grâce de l’affaire, mais disons juste qu’il nous en veut toujours de ne pas nous être entendus sur une affaire. Depuis, il essaie de nous faire passer pour des voleurs, mais la clientèle ne s’y trompe pas. Certes nos prix sont élevés, mais voyez cela comme un investissement. Nous forgeons depuis des générations, pour des générations. Le forgeron conclut sa petite tirade d’un habile clin d’oeil.
— Je ne suis pas acheteuse dans l’immédiat, avertit Emelda, jetant un regard sur les produits présentés, qu’elle jugea de qualité. Mais si vous savez me renseigner je pourrais revenir avec des amis qui trouveront sans nul doute de quoi se faire plaisir chez vous.
— Je vous écoute, annonça le forgeron en s’appuyant que le meuble qui semblait servir de comptoir.
— Nous avons cru comprendre qu’il était possible de forger des armes à partir de ça, annonça Emelda en sortant le cristal préalablement présenté à l’alchimiste.
— Rangez ça tout de suite s’il vous plait. Et ne le sortez plus sous mon toit. Comment vous l’avez eu ?
— C’est… Long à expliquer. Bégaya Emelda, surprise par la réaction du forgeron.
— J’ai le temps.
— Mes compagnons et moi avons eu maille à partir avec certaines étranges entités… Et nous avons pu récupérer ça.
— Je vois. Comme vous ne semblez pas le savoir, je vous préviens : il est dangereux de garder ça sur soi, et encore plus de le montrer. Il y a un marché noir pour ça, et ceux qui le convoitent ne reculent que rarement. Pour ainsi dire jamais. A qui l’avez-vous montré ? A Lambing j’imagine !?
— …, répondit la templière.
— Heureusement, les voyous ne travaillent pas avec Lambing, reprit le forgeron. Il est trop… instable… labile… c’est mauvais pour les affaires. Donc croisez les doigts pour qu’il n’en parle à personne et qu’il oublie votre passage. A-t-il voulu vous l’acheter ?
— Pas vraiment.
— Alors avec un peu de chance il ne sait même pas la petite fortune qu’il pourrait en tirer.
— Et pourquoi vous ferais-je confiance, à vous ?
— Parce-que votre caillou j’en veux pas, et que maintenant que je sais que vous l’avez j’ai hâte que vous sortiez de chez nous.
— Je comprends… Pas d’informations donc ? » tenta la templière.
Le forgeron garda le silence quelques secondes avant de prendre une décision.
« Mon père saurait forger ça. Si votre pierre était convenablement transformée, et s’il avait le matériel adéquat. Ce qui n’est le cas ni pour l’un, ni pour l’autre.
— Bien, merci. Et ce matériel, quel est-il ? Où peut-on le trouver ?
— Il faudrait une forge alchimique, ou de quoi en recréer une. Aucune idée d’où vous pourriez en trouver une. Au nord peut-être, dans les montagnes, an sein des anciennes forges naines. Rien de sûr, mais les nains étaient familiers de ce genre d’art donc ça me semble un bon début de piste. »

Emelda réfléchit quelques secondes aux informations glanées, et, satisfaite, entreprit de quitter l’échoppe.
« Fort bien, je vous remercie pour ces informations et ne manquerais pas de revenir avec mes compagnons lorsque ce sera possible.
— Et nous vous recevrons avec plaisir., suivant le contenu de vos besaces. Je crois comprendre ce que vous voulez faire, notre père pourra vous y aider, mais cela ne se fera pas ici. C’est trop dangereux pour nous tous, il faudra être discrets. Davantage que vous l’avez été dernièrement, dit-il en indiquant d’un mouvement de tête la rue et les bruits de cohue qui en venaient.
— Vous me prêtez des intentions que je n’ai pas, annonça Emelda en souriant. Mais j’ai pris bonne note de toutes vos recommandations. Comptez sur nous pour faire les choses au mieux si nos chemins devaient à nouveau se croiser. » conclut-elle en sortant.


Evitant de peu le coup de hache, Dagnai planta la sienne dans les côtes du brigand, le tranchant ouvrant cuirs, tissus et chairs jusqu’à rencontrer l’os. Un second coup au niveau de la tempe fit taire la menace et permit au nain de faire face à son adversaire suivant. À ses côtés, Jelsen et Brutogg se battaient également contre le même groupe de brigands, pour la plupart de brutes dépenaillées sans entraînement, mais bien armés.

Ils avaient soudainement jaillis de toute part, faisant fuir gardes et passants. Bien que certains d’entre eux mordent régulièrement la poussière, il y en avait toujours un pour prendre le relais. Jelsen regrettait amèrement l’absence d’Emelda, dont les talents auraient grandement servi dans cette mêlée générale. C’est alors qu’il l’aperçut, de l’autre côté de la rue, tout près du panneau d’affichage de ce qui semblait être un bâtiment de guilde. Elle aussi se battait, mais cela ne semblait pas être contre un brigand…

Sortie de nulle part, la créature avait saisit Emelda par surprise, l’avait poignardée, et avait tenté de l’attirer dans une minuscule ruelle, sombre et encombrée de détritus. Par chance l’armure de la templière était de meilleure qualité que l’arme de son agresseur, et cette dernière se brisa sous l’impact. Par pur réflexe Emelda saisit la chose avant qu’elle-même ne la lâche et la tira sans douceur vers la ruelle principale où elle aurait la place suffisante pour se défendre à l’aide de son épée. Au moment de sortir de l’obscurité de la ruelle, la chose devint frénétique et se débattit comme un diable en poussant des couinements. Mais la templière ne relâcha pas sa prise. Une fois en pleine lumière, la chose se révéla être une bête poilue, famélique et vêtue de guenilles. S’aidant de sa main libre pour protéger ses yeux de la lumière du soleil elle ne cessait de couiner et Emelda vit enfin sa tête, munie d’un museau aux incisives effilées et d’une paire de petits yeux noirs.
« Par tous les saints ! Un homme-rat ! »
La créature se jeta désespérément sur la templière, tentant vainement de la mordre à travers les plaques de son armure. Emelda leva son arme et l’abattit sur la créature captive, qui l’esquiva sans difficulté et griffa salement la guerrière sous le bras, lui faisant lâcher prise. Mais alors que la bête s’en retournait vers sa ruelle, Emelda réussit à lui labourer le dos d’un revers de sa lame, faisant hurler la créature avant qu’elle ne disparaisse parmi les immondices de la ruelle.

Alors que, débarrassés de leurs agresseurs, Brutogg et Dagnai décidèrent de continuer en direction d’une taverne visible plus loin, Jelsen rejognit Emelda de l’autre côté de la rue pour s’enquérir de son état.
« Tu vas bien ? Demanda le répurgateur. C’était quoi cette… chose ?
— Je vais bien. Je ne sais pas trop, on aurait dit un homme-rat, je l’ai blessé mais il a disparu dans cette ruelle. Comment vont les autres ?
— Ils vont bien, ils se dirigent vers la taverne dont on voit l’écriteau, là-bas, indiqua-t-il du doigt. Je crois qu’on s’est fais remarqués en vendant nos gemmes à l’entrée de la ville, mais je suis surpris qu’un si piètre trésor vaille cette débauche de violence…
— J’en ai appris un peu plus chez le forgeron, et je ne crois pas que ce soient nos pièces que ces brigands veulent… Mais nous en parlerons plus tard, au calme. Rejoignons les autres. »

Emelda se lança au petit trop dans la ruelle, à la recherche de ses autres compagnons. Jelsen s’apprêtait à la suivre, mais son regard fut attiré par le panneau d’affichage. Une planche peinte clouée en son sommet l’identifiait comme propriété de la guilde des mercenaires. le répurgateur sourit à imaginer l’état de la dite guilde considérant le nombre de brigands qui se baladaient et officiaient dans les murs mêmes de la ville. Il jeta un œil aux quelques missives épinglées. Outre les habituelles missions d’escorte, de recherche de proche ou d’animal de compagnie perdu, de livraison, deux missions sortirent du lot. La première proposait 500 pièces pour libérer un lointain village des orcs qui en avaient pris possession, la seconde, très récente, en proposait 100 pour « débarrasser la région de la bande de brigands qui menaçait le commerce local et l’équilibre économique de la ville« .
« Tiens donc… » Grinça Jelsen entre ses dents.

Il arracha du panneau les deux missives, les plia soigneusement et les rangea dans une de ses poches, cherchant du regard ses amis. Il fit quelques pas et se sentit agrippé par son manteau et violemment tiré en arrière. Il perdit l’équilibre et chuta, se faisant trainer par à-coups sur quelques mètres dans une nouvelles ruelle étroite et sombre, mais parvint à reprendre ses appuis sur les pavés abîmés à se dégager de l’étreinte et à se lancer dans une course folle en direction de la grande rue et, surtout, de la lumière du jour. Une bête de plusieurs dizaines de kilos tomba sur son dos, l’envoyant bouler en avant et roulant avec lui en lui assénant de grands coups de griffes au niveau des épaules. Ils débouchèrent ainsi dans la grand rue et Jelsen, un genou à terre, passant les bras au-dessus de lui, parvint à agripper fermement un pelage inconnu et à le faire basculer par-dessus sa tête. Dans un craquement d’os, un homme-rat s’affaissa lourdement sur les pavés devant le répurgateur. Il semblait plus petit que celui qu’avait affronté Emelda, mais pas moins pouilleux. Saisit par la douleur d’un quelconque os brisé, la créature se contorsionna en couinant, tentant de se relever. Jelsen ne lui en laissa pas le temps, la saisissant à la tête d’une main et l’embrochant de sa lame de l’autre, avant de s’asseoir au sol, haletant, adossé à un mur non loin.
« Foutue ville ! » Siffla-t-il entre ses dents, accompagnant ses mots d’un crachat au sol.


Les rejoignant devant la taverne, Emelda adressa un sourire à ses deux compagnons.
« Tu as remarqué comme les rues se sont vidées ? Lui demanda Dagnai. Les gens se cloîtrent chez eux à cause de ces brigands.
— Il y en a quand même qui se défendent, je crois qu’ils leur tiennent encore tête au carrefour plus haut. Espérons que cette taverne sois assez pleine pour que les brigands n’osent rien tenter. »
Alors que Dagnai se retournait vers la rue à la recherche de Jelsen, la templière et l’orge poussèrent la porte de la taverne pour y entrer.

Les conversations se turent et un lourd silence leur fit accueil. Balayant du regard l’assemblée, ils constatèrent que tous les regards étaient braqués sur eux, et que la plupart d’entre aux appartenaient à ce qui s’apparentait clairement à une bande de brigands. L’un d’eux se redressa et commença à applaudir, lentement, avec un sourire narquois. Une vieille balafre longeant sa mâchoire creusait un sillon dans sa barbe épaisse. Ses muscles noueux roulaient sous sa peau bronzée. Les quelques bijoux éclatants qu’il portait témoignaient de sa haute place dans le semblant de hiérarchie que respectent les bandits.
« Alors là, bravo ! Tonna sa voix alors qu’il cessait d’applaudir. Vous avez réussi à échapper à tous les bras-cassés qu’on vous a mis au cul, pour finalement venir ici, vous jeter dans la gueule du loup. Z’êtes forts, mais z’êtes débiles, vraiment ! Mais j’suis un gars sympa moi, et j’ai des principes. J’trouverais ça dommage si vous aviez fait tout ça pour venir vous faire planter ici, donc j’vous propose un marché. Vous avez des cailloux qu’on veut, alors posez tout ce que vous avez là, au sol devant vous, et je vous laisse sortir vivants. Si vous refusez par contre, c’est les pieds devants que vous ressortirez. Z’en dites quoi !?
— Allons Messieurs, répondit Emelda, présentant ses mains vides en geste d’apaisement, nous sommes entre personnes civilisées. Nous ne cherchons pas querelle, laissez-nous offrir une tournée pour nous excuser de vous avoir dérangés et nous reprendrons notre route. »

Un silence s’installa de nouveau, Emelda en profita pour décompter une vingtaine de brigands, ainsi qu’une poignée de personnes qui ne semblaient pas être de leur groupe et faisaient manifestement tout pour ne pas s’y mêler. Certains des brigands s’étaient levés et commençaient à s’approcher, leurs armes au clair.
«Tss tss tss, siffla le chef des brigands, dommage, ma proposition me semblait correcte. »
Il adressa un léger signe de tête à un homme situé derrière le comptoir, et celui-ci, faisant apparaître un arc de sous le bar, banda prestement une flèche qui vint se ficher dans la poitrine d’Emelda qui fit deux pas en arrière sous la violence du choc, et s’effondra contre la porte de la taverne alors qu’elle commençait à sentir le goût de son propre sang dans sa gorge.


« Hé mais t’es une belle bête toi ! »
Jelsen regardait le chien qui était venu s’asseoir à ses côtés. Un grand bâtard qui avait vraisemblablement du sang de chien de chasse en lui. L’œil brillant, la truffe humide, les oreilles tombantes, avec un pelage noir ras qu’on devinait beau, sous la crasse. Le chien s’allongea, la tête droite, observant l’animation de la rue. L’animal était maigre et on voyait facilement les os se dessiner sous sa peau. Pourtant il semblait puissant. Grand, beau, puissant, noir, chasseur… Toutes les qualités qu’un chasseur de sorcières chercherait dans un animal de compagnie. L’idée se fit une place dans le cerveau de Jelsen : il allait apprivoiser l’animal. Il savait que la nourriture était le meilleur moyen de familiariser un animal étranger. Regardant autour de lui il posa les yeux sur le cadavre de l’homme-rat. Sortant sa dague, le répurgateur coupa un large filet dans la cuisse du cadavre. La pièce de viande tiède était nerveuse et noueuse, mais ça restait de la viande. Il la tendit du bout des doigts au chien qui la renifla et la prit délicatement entre ses crocs et entreprit de la mâcher en la tenant entre les pattes avant. L’animal n’étant visiblement ni sauvage ni craintif, Jelsen tendit doucement la main pour le caresser. D’un mouvement vif , l’animal se retourna et mordit profondément la main du répurgateur, la tenant entre ses mâchoires serrées en grognant jusqu’à ce que le sang coule. Hurlant sur le chien et voyant que le chien ne le lâchai pas alors que la douleur lui remontait dans le bras, Jelsen saisit sa dague pour occire l’animal, mais celui-ci le lâcha finalement avant de s’en aller au petit trot, non sans prendre au passage le bout de viande offert par le répurgateur. Ce dernier entreprit de bander sa main blessée en pestant après l’espèce canine toute entière.


« DAGNAI !!! »
La panique était palpable dans le cri de Brutogg, si bien que le nain sentit un frisson lui parcourir l’échine. Il chercha a entrer dans la taverne mais quelque-chose semblait bloquer la porte de l’intérieur. S’aidant d’une ces caisses qui jonchaient la façade de l’édifice, il entreprit de passer par une fenêtre ouverte en adressant un cri à la rue :
« JELSEN !!! A LA TAVEEEEEERNE !!! »
Atterrissant sur le plancher usé de la taverne, Dagnai eu le déplaisir de la voir remplie de brigands, et surtout de voir Emelda en sang contre la porte d’entrée, Brutogg tentant de la protéger des malotrus qui les encerclaient. Sans réfléchir à ses actes, le nain saisit son arbalète et tira un carreau dans la gorge d’un premier brigand puis, muni de sa hache, il se rua en direction de l’ogre, fauchant au passage un gredin de plus, lui brisant le genou avant de lui ouvrir le crâne. L’apparition fit forte impression auprès des brigands qui reculèrent de quelques pas.
« Sors la d’ici ! Ordonna Dagnai à l’attention de Brutogg. Je jure sur mes aïeux qu’aucun de ces bâtards ne sortira d’ici vivant ! »

L’ogre se pencha immédiatement vers Emelda et, après avoir arraché la flèche de sa poitrine, lui vida une fiole de soin dans la bouche. La templière retrouva doucement ses esprits et rampa laborieusement hors de la taverne par la porte que l’ogre lui tint ouverte, faisant toujours face aux brigands, sa masse à la main et la mâchoire serrée.
« Allez les gars, s’emporta le chef des brigands. Vous savez ce qu’on a à faire ! Butez les ! »
De furieux balayages de la masse de Brutogg accueillirent les premiers brigands qui se jetèrent à l’assaut, alors que Dagnai prenait soin de couvrir les angles morts de son ami. Soudain une explosion sourde se fit entendre du côté du comptoir, accompagnée d’un puissant souffle chaud et d’une lueur de flammes . Brutogg en chercha la cause et eu la surprise de voir que certain des civils présents à leur arrivée s’étaient réfugiés dans les escaliers du fond de la salle et que l’un d’eux préparait ce qui ressemblait à de petites bombes. L’explosion de la première n’avait pas seulement détruit le comptoir, elle avait également occis deux brigands, à la grande satisfaction de l’artilleur improvisé.

Une nouvelle détonation se fit entendre du côté de la fenêtre, Dagnai se retourna pour découvrir Jelsen qui en surgissait, l’arquebuse encore fumante. Il chercha du regard la cible abattue par le répurgateur mais trouva seulement un trou fumant dans une poutre, un bon mètre au-dessus de la tête et en revint au tireur, l’air héberlué :
« Mais comment t’as pu rater un coup pareil !?
— Gna gna gna. » Grimaça le répurgateur en montrant sa main bandée.
La pression exercée par les brigands commençait à se réduire, mais l’explosion d’une seconde grenade n’arrangea en rien à la cohue, faisant voler le mobilier en tous sens.
Attaquant de pair les brigands isolés, Jelsen et Dagnai finirent de nettoyer la zone alors que Brutogg chargeait violemment leur chef, resté jusque là à l’abri des combats. Le brigand esquiva paisiblement l’attaque, entaillant profondément la cuisse de l’ogre d’un vicieux coup de dague. Jelsen, apparaissant en silence, tenta un coup de taille de son arme sur le flan du brigand qui bloqua tant bien que mal l’attaque de sa dague en la tenant des deux mains, se retrouvant dans une position sensible. Le répurgateur profita de l’occasion pour frapper violemment son adversaire au visage avec le bord de sa rondache, lui brisant plusieurs dents. Fou de rage, le brigand recula de quelques pas et se rua sur Jelsen qui, parant l’attaque de sa rondache, accompagna son élan tout en lui fauchant son pied d’appui, envoyant le malotru rouler-bouler dans les décombres du comptoir sous le regard mauvais d’un Dagnai occupé à recharger son arbalète. Le brigand tenta de se relever mais Brutogg était déjà à sa hauteur pour le maintenir au sol d’un violent coup de pied dans les côtes.
« Aaaah… Gémit le brigand en se contorsionnant au sol sous l’effet de la douleur. Fous fafez pas fe que fous vêtes en train de faire ! Fe fuis Famuel le Tran…
— On s’en fout de qui t’es ! Le coupa Brutogg. Et on sait exactement ce qu’on fait : on vous défonce. »
L’ogre tendit alors le bras au-dessus de la tête du brigand, laissant sa masse d’arme pendre dans sa main en la tenant par sa petite sangle de cuir. Il lâcha ensuite l’arme qui vint écraser la tête se Samuel le on-ne-saura-jamais dans un bruit de craquèlement sourds.

« Dans quel état vous avez mis cette taverne… Ils ne voudront jamais nous servir. »
La voix féminine venait de la porte, les trois aventuriers tournèrent la tête de concert pour y voir Emelda, blafarde mais debout, soutenue par un vieil homme en armure que Dagnai reconnut.
« C’est vous qui êtes intervenu tout à l’heure, au carrefour ! Merci encore pour votre aide.
— C’est bien moi en effet, permettez moi de me présenter, je suis Gilles de la Petite Tour, paladin errant, j’essaie de ramener un semblant de justice en ce monde, et vous sembliez en avoir bien besoin alors je me suis permis de prendre parti. Cela m’a rappelé mes jeunes années. Mais à voir l’œuvre que vous avez accomplis en ce lieu, j’en viens à me demander si mon aide était réellement nécessaire…
— Gilles m’a vue devant la porte, intervint Emelda, il est venu user de ses arts de soin pour me remettre sur pied. c’est un homme bon.
— Mais vous n’êtes pas encore remise, vous avez besoin de repos. Gilles chercha du regard une assise pour la templière. Je ne sais pas ce que ces brigands vous veulent mais vu le nombre d’hommes qu’ils ont envoyés ils le veulent vraiment.
— Je crois savoir ce qu’ils veulent, souffla Emelda. C’est un problème que nous allons devoir régler. »
Jelsen fouilla dans sa poche et en sortit les missives prises sur le tableau d’affichage. Il tendit celle qui offrait une prime pour traquer des brigands à Gilles et le regarda avec son sourire le plus charmeur.
« Dites donc l’ami, ça vous dirait de venir appliquer un peu plus de justice en notre compagnie ? »