Une nouvelle en trois parties, commencée à l’origine pour accompagner la création de mon armée Nighthaunt pour le jeu Age of Sigmar. Elle prend bien sûr place dans cet univers, avec toute la violence que cela implique. Bonne lecture. 🙂
Quelle heure pouvait-il bien être ? Trois, quatre heures du matin ? Ne voyant pas encore l’aurore percer à travers le fentes des volets, Chat-Maigre ne cessait de se tourner et se retourner sur sa paillasse. Impossible de trouver le sommeil, aucune idée du pourquoi. Il était nerveux, agité, ce qui n’était pas dans ses habitudes.
Ses frères d’arme n’étaient pas encore rentrés du bordel. Il aurait du les y suivre après la taverne, ça l’aurait détendu. Mais non, il voulait garder intact son pécule, ne pas faire comme les autres à tout dilapider dans la bière, les jeux et les femmes. Ils ne se rendaient pas compte de l’aubaine qu’était ce contrat, ils prenaient trop leurs aises et au final ils repartiraient comme ils étaient arrivés, sans le sou.
Les mercenaires sont souvent pauvres, sinon ils feraient autre-chose.
Voilà une dizaine d’années que Chat-Maigre avait intégré les rangs de la Cohorte de Belessar, petite armée de mercenaires aussi connue pour son efficacité que pour ses tarifs élevés. Le Légat de la cité les avait recrutés davantage pour impressionner ses consorts des cités voisines et asseoir son autorité que pour faire face à une quelconque menace. Car il n’y avait aucune menace à proprement parler. Et en même temps, tant qu’ils étaient avec lui, ils n’étaient pas avec un opposant. Les hommes s’ennuyaient tant que le Commandant de la Cohorte leur avait fait prendre part aux tours de garde des hommes du Guet local, il avait également organisé des séances d’entrainement avec eux. La chose est peu commune, les spadassins rechignant à enseigner leurs meilleures bottes à quiconque, et surtout pas à des bouseux qui semblent en permanence se demander s’il tiennent leur arme par le bon bout. Mais comme l’avait si judicieusement dit le Commandant : « ça vous fera faire un peu d’exercice entre deux passages au bordel« .
Dehors, dans la ruelle, s’éleva petit à petit un chant aux paroles graveleuses beuglé à tue-tête par quatre soudards qui se soutenaient les uns les autres ; ses quatre compagnons de chambrée étaient de retour. Ils prirent bien sûr soin de finir le refrain sur le pas de la porte avant d’entrer et de gravir l’escalier de bois à pas lourds et mal assurés. La porte de la chambre s’ouvrit à la volée et les quatre compères entrèrent sans discrétion.
» Chat-Maiiiiiiigre !!!!! Tu dooooooors ? » beugla Tronche, le balafré.
– Non, Tronche. Plus maintenant… mentit-il. La nuit à été agréable ?
– Douce, humide et chauuuude. susurra L’Aspic
– Mais surtout chère, cette fois encore ! conclut Le Gosse
Les quatre alcoolisés éclatèrent d’un rire gras, Chat Maigre se surprit lui-même à sourire.
– Les autres n’étaient pas avec vous ? demanda Chat-Maigre, faisant référence à cinq autres comparses logés dans le même bâtiment mais à l’étage inférieur.
– Non, ils sont de rondes demain, Bobo les a fait rentrer un peu après toi. grogna Tronche en reniflant. Le Commandant lui serre la vis pour qu’ils soient carrés devant ceux du Guet, surtout devant Hombert.
– Alors qu’à nous il nous lâche la bride !? s’étonna Le Gosse.
– Il n’a pas besoin de nous faire filer droit, Chat-Maigre est là pour ça. lança L’Aspic.
Chat-Maigre ne releva pas, L’Apsic était coutumier de ce genre de piques. Répondre n’aurait servi qu’à entrer dans son jeu.
– Fermes ton claque-merde, trancha Charretier de sa verve fleurie. Tu me saoules alors que je suis déjà bourré ! C’est dingue !
Le silence retomba, la voix de stentor de Charretier et son vocabulaire laissant généralement peu de place à une réponse. Les quatre se couchèrent tels quels, sans retirer leurs frusques, tout juste défirent-ils leurs ceinturons, gardant leurs armes près d’eux, comme le font la plupart des hommes qui vivent par le fer.
Ils n’eurent pas le temps de trouver le sommeil qu’un cri traversa les volets et déchira le silence de la chambre. Lointain et aiguë. Un cri d’horreur. Un de ces cris qui semblent venir de l’âme elle-même. Après un bref moment de stupeur durant lequel il sentit un frisson glacé parcourir sa colonne vertébrale, Chat-Maigre sauta de son lit et ouvrit les volets d’une bourrade au moment même où un second cri retentit, une voix d’homme cette fois. Lointain lui aussi, emplit de terreur. Passant la tête par la fenêtre, Chat-Maigre scrutait la nuit mais ne voyait rien. Il sentit Tronche se faire une place à côté de lui :
– Qu’est-ce que c’est ? grogna-t-il. Ça fout les jetons…
– Aucune idée, il faudrait monter pour avoir vu sur les toits. Mais il fait encore nuit.
Nouveau cri.
Chat-Maigre jeta un œil dans la chambre. Tout le monde s’était relevé, L’Aspic remettait même son ceinturon.
Hurlement, plus près.
Un autre.
Tronche saisit Chat-maigre par le bras, pointant du doigt le contrebas de la ruelle.
– Là !
Alors que les cris se multipliaient et se rapprochaient sans cesse, Chat Maigre distingua enfin les lueurs vacillantes, loin en contrebas.
Un incendie.
Il n’y a jamais autant de cris lors d’un banal début d’incendie…
– On s’arrache ! ordonna-t-il d’un ton ferme. C’est une attaque. Prenez vos bardas, je vais prévenir les autres, on se retrouve dans la rue. Bougez-vous !
A la volée il saisit son sac, toujours prêt, qu’il jeta sur son épaule en traversant la chambre et dévala les marches à la course en enfilant tant bien que mal son ceinturon.
Il ouvrit la porte de l’autre chambre et trouva ses occupants en train de rassembler leurs affaires. Les cris les avaient réveillés et Bobo avait eu le même réflexe que lui.
– Dans la rue. lâcha-t-il simplement avant de se jeter à nouveau dans l’escalier.
Beaucoup de riverains avaient aussi eu le réflexe de sortir pour chercher à comprendre la situation, les autres étaient aux fenêtres de leurs chambres et hélaient les rares passants qui pour la plupart remontaient la rue en courant, paniqués, sans prendre le temps de répondre. Il entendit des pas lourds dans l’escalier derrière lui, sa chambrée et celle de Bobo (Mignonnet, Tancho, Trois Fois Mort et Loïc) le rejoignaient. Tronche tendit vivement le bras et attrapa un des passants par l’épaule. La frayeur se lisait dans les yeux de l’homme mais le mercenaire ne s’apitoya pas et prit sa mine la plus patibulaire :
– Qu’est-ce qui se passe ? Qu’est-ce que tu fuis comme ça ?
– Les… Les enf… Les enfers ! balbutia l’homme. Ils se… se sont ouverts ! Que Sigmar nous protège !
Il se dégagea d’une ruade et reprit sa course vers le haut de la ruelle.
Chat-Maigre se tourna vers les siens :
– On doit monter au Palais, rejoindre le Commandant. On en saura davantage là-bas.
Bobo acquiesça d’un hochement de tête, ce qui rassura Chat-Maigre. Le vieux mercenaire pouvait se montrer aussi têtu et retord qu’il était d’ordinaire droit et fiable. L’avoir de son côté était toujours une bonne chose.
– Passons par le Coupe-Gorge, proposa Tancho, on gagnera du temps.
– En pleine nuit !? Avec ce bordel !? s’indigna Loïc
– Bien sûr ! ricana Tancho. T’as peur de quoi !? A nous seuls on charrie autant d’armes que la moitié de la ville ! On est les plus à craindre dans ce quartier, on risque rien.
– Tancho a raison, trancha Bobo. Ouvres la route, on te suit.
Le Coupe-Gorge était un quartier mal famé, aux rues si étroites et sinueuses que les attelages ne pouvaient s’y aventurer. Bâti à la va-vite il y avait des générations pour faire face à un exode rural massif, il payait aujourd’hui le prix des mauvaises décisions d’autrefois. Délabré, laissé à l’abandon par les autorités, il était devenu le repère de la pègre locale et le principal champ de bataille des bandes de gamins des rues, au point que le Guet n’y faisait même plus de rondes. Lorsque les gars de la Cohorte s’étaient vus assigner des tours de garde, c’est bien évidemment le premier quartier dans lequel ils mirent les pieds, juste pour fanfaronner et montrer aux gars du Guet (et à leurs supérieurs) qui ils étaient. Après quelques altercations plus ou moins violentes, les gredins du quartier avaient compris qu’il leur suffisait d’attendre que la patrouille soit passée pour faire leurs affaires sans trop de soucis, et surtout sans se faire casser trop de doigts. Un calme relatif était donc peu à peu revenu dans le secteur.
Les membres de la Cohorte qui causaient le plus de problèmes sur leur temps libre avaient généralement droit à des tours de garde supplémentaires. Tancho, loin d’être docile, avait ainsi eu l’occasion d’apprendre par cœur le dédale du Coupe-Gorge, ce qui faisait de lui un éclaireur tout désigné.
Après de trop longues minutes de course sur les pavés, à entendre un brouhaha sourd dardé de cris prendre de l’ampleur à l’autre bout de la ville, l’équipée déboucha sur la Place qui faisait face au Palais et entreprit de la traverser. C’est Trois Fois Mort qui stoppa le groupe en pointant du doigt un regroupement qui fuyait cette même place :
– Là-bas ! Des hommes en armure ! Ils fuient le Palais.
– Rattrapons-les. ordonna Chat-Maigre qui partit à toutes jambes en direction des fuyards sans attendre les siens, coupant toute tentative de protestation de leur part et les forçant à le suivre.
De l’agitation se fit dans le groupe en fuite, des éclats de voix aussi. Une voix s’en détacha, grave et grondante comme un tonnerre :
– Ta gueule, troufion ! Ce sont mes hommes, et nous les attendrons !
La voix du Commandant de la Cohorte.
Les deux groupes se rejoignirent, Chat-Maigre constata la présence du Légat, d’une infime partie de sa cour, quelques aristocrates et mages, de Sire Hombert le chef du Guet, et des cinq Gardes Légataires, les gardes du corps du Légat, cinq colosses enchâssés dans des armures dorées, pathétiques simulacres d’armures stormcasts. Ces cinq là n’avaient pas la réputation d’être des tendres, ni des lumières. Leurs marteaux de guerre étaient tâchés de sang. Le Commandant était là également, accompagné des quatre lieutenants de la Cohorte: Jabert, Bodof, Baton et Bec de Lièvre, le bien nommé.
Le Commandant s’adressa directement à Bobo :
– Où sont les autres ?
– Aucune idée, on a vu personne.
– Merde.
– On sait ce qu’il se passe, Commandant ? demanda Tronche.
Un bref instant le Commandant parut surpris de la question, mais il se ressaisit vite et pointa l’horizon du doigt :
– Levez les yeux les gars…
Chat Maigre et ses compagnons se retournèrent et trouvèrent leurs souffles coupés par le spectacle qui s’offrait à eux. Le Palais et sa Place étaient en surplomb du reste de la cité, juchés au sommet d’une petite colline, et la vue sur les toits était d’ordinaire magnifique. A cet instant précis elle était terrifiante. Des flammes démesurées dévoraient les chaumes et les charpentes dans une lueur éblouissante, le brasier rampait de toit en toit, glissait le long des façades, gagnant inexorablement du terrain. Mais l’horreur réelle se trouvait dans toutes les formes luminescentes qui évoluaient tout autour du brasier, qui le traversaient sans ciller, voletant au-dessus des demeures avant de plonger subitement dans un cri perçant. Ces putains de cris !
Le Gosse déglutit :
– Qu’est-ce… que c’est ?
– Des esprits, répondit le Commandant. Nagash a lâché ses pires horreurs sur la cité.
Chat-Maigre fouilla le panorama du regard, s’attardant sur les parties de la ville qui ne brûlaient pas. Depuis la place on pouvait faire un tour presque complet sur soi-même et ne voir que des toits. Le Commandant confirma sa crainte :
– Cherches pas, ils ont attaqué de partout, on est cernés.
Chat-Maigre remarqua aussi que le groupe du Légat prenait de l’ampleur, des civils en fuite y ayant reconnu des figures d’autorités avaient décidé de s’y joindre dans l’espoir d’une quelconque protection.
– On doit trouver un abri, ou quelque-chose.
– Un abri ? On ne se défend pas !? tressaillit Le Gosse.
– Non ! grogna le Commandant. Si les récits disent vrais, on ne se défend pas face à un esprit… On crève ! On est pas de taille. Si Sigmar te bénit tu auras peut-être une chance, mais j’ai encore jamais tenté le coup et j’ai aucune envie de le faire. Alors là on fuit et on essaie de survivre et de sortir de la ville. Allez on bouge ! Direction la porte Isidore, ça a l’air plus calme là-bas. Pas d’objections Sire !?
La question posée au Légat n’attendait en réalité aucune réponse mais, sonné par le spectacle, celui-ci acquiesça tout de même vaguement de la tête. Ses gardes légataires le prirent aussitôt par le bras pour le tirer à leur suite dans les rues en contrebas, le reste du groupe sur les talons.
Dans sa course effrénée, le groupe gagnait de nouveaux membres à chaque carrefour et était désormais d’une taille conséquente. Chat Maigre y voyait des enfants, des vieillards, même des femmes enceintes. Des membres du Guet avaient aussi fait leur apparition. Alors qu’à l’avant les gardes légataires filaient bon train, à l’arrière la cohue débutait. Les plus rapides et les plus paniqués bousculaient et piétinaient sans scrupules les plus lents, les plus faibles et ce qui avaient la malchance de trébucher sur les pavés irréguliers. Avec les cris et pleurs de circonstance. Le pire était à craindre.
Le groupe bifurqua soudainement à droite, dans une ruelle particulièrement étroite. Suivant le mouvement, Chat-Maigre aperçut brièvement de pales lueurs au bout de la rue qu’ils quittaient. Une poignée d’esprits remontait sur eux à toute allure. Peu après le passage des membres de la Cohorte l’entrée de la ruelle fit l’effet d’un goulet d’étranglement : tout le monde s’y précipitant en même temps, plus personne ne put bientôt passer. Les cris s’intensifièrent d’une atroce façon dans le dos du groupe restant lorsque les spectres atteignirent les retardataires coincés en amont. Chat-Maigre frissonna, le choix de passer par cette ruelle si étroite ne pouvait être dû au hasard. Les gardes légataires qui menaient la course n’étaient finalement pas si bêtes qu’on le disait.
Baton, un des lieutenants, leva le pied pour se porter à hauteur des gars de la Cohorte, et s’arrangea pour que la plupart l’entourent avant de lâcher entre ses dents serrées par l’effort de la course :
– Ordre d’en haut… La Cohorte avant tout. Compris !? Nous, on s’occupe des nobliaux. Tenez bon !
Les ordres étaient clairs : ne pas se soucier des civils, uniquement des membres de la Cohorte et de sa propre peau.
Baton était grand et sec, bon coureur, et en quelques enjambées il regagna l’avant du groupe, jouant des coudes lorsque nécessaire. Au passage il saisit l’Aspic par la manche et lui souffla quelques mots tout bas. Les yeux de l’Apsic s’étrécirent et il ralentit aussitôt pour se laisser couler à l’arrière du groupe qui continuait de s’étioler virage après virage.
Les ruelles s’enchaînaient, les virages et carrefours se succédant. Parfois, on pouvait voir la pâle lueur d’un spectre au bout d’une rue, la course du groupe accélérait clairement à chaque fois.
A l’arrière on entendit soudain l’Aspic gueuler de toutes ses forces, paniqué.
– ON LES A AU CUL !!!!! ILS NOUS SUIVENT ! ILS NOUS SUIVENT !!!!!!
L’information passa de bouche en bouche et remonta sans soucis jusqu’à l’avant du groupe qui s’élança à nouveau dans de petites ruelles, au gré des bifurcations d’urgence. Jetant un œil par-dessus son épaule, Chat-Maigre constata que le groupe diminuait désormais de façon considérable. Trois Fois Mort perdait lui aussi peu à peu du terrain, faiblissant dans sa course. L’Aspic attendit qu’il arrive à sa hauteur pour lui asséner un semblant de ruade en lui gueulant dessus :
– Cours, bordel ! COURS !!!!
Chat-Maigre parvint à l’agripper par la manche pour le tirer à lui et l’aider à suivre le train en l’encourageant.
– Allez vieux frère, accroches-toi. On arrive au bout.
Un petit mensonge à son compagnon autant qu’à lui-même.
Sans savoir pourquoi il jeta un nouveau coup d’œil à l’arrière et le regretta aussitôt. Aussi discrètement que possible, l’Aspic tailladait au poignard l’arrière des genoux et le dos de ceux qui traînaient trop, les abandonnant, hurlants, sur son passage. Limiter le groupe en éliminant les plus faibles, les laisser agoniser là où ils tombaient en espérant qu’ils ralentiraient les spectres, voilà donc la triste besogne que Baton lui avait confié. L’Aspic était de ceux capables de faire preuve de zèle dans ces tâches. Et là, il ne s’en privait pas.
Un spectre jaillit soudain d’un mur sur la droite de Chat-Maigre, à quelques mètres de lui. Figure impie de crâne grimaçant vêtu d’un châle de ténèbres, auréolé d’un halo bleu scintillant. Immatériel, il surgit de la pierre tel une illusion. Mais l’illusion en question se jeta sur le groupe, fauchant quelques têtes à l’aide d’un vouge bien réel. Un gars de Guet sortit son arme et attaqua l’apparition par derrière, la fauchant qu’un geste ample. La lame traversa simplement le spectre, déformant sa silhouette sur sa trajectoire en créant des tourbillons de fumerolles, sans plus d’effet. Autant frapper le brouillard songea Chat-Maigre. Le fantôme se retourna et trancha net la gorge de son assaillant avant de cherche une nouvelle victime. Les civils s’étaient dispersés en tous sens, dans un chaos de cris, de pleurs et de lamentations. Les membres de la Cohorte parvinrent néanmoins à retrouver le groupe de tête tout en évitant les spectres qui apparaissaient de plus en plus nombreux. Le Commandant était encore du nombre, ainsi que les mages, Sire Hombert et le Légat, toujours protégé de ses gorilles. Quelques gars du Guet et des civils aussi, bien moins nombreux. Dans la course folle, Chat-Maigre ne s’attarda de toute façon pas sur leur cas.
Le groupe déboucha sur une place en arc de cercle, assez grande et longée d’arcades d’un côté, de tavernes de l’autre. Une des nombreuses places de marché de la cité. La porte Isidore n’en était pas loin, et les gardes légataires se jetèrent sans attendre dans la rue qui y menait. Avant de stopper net et de faire volte-face dans un mouvement de panique, voyant une lueur fluorescente prendre de l’ampleur au bout de la rue. De l’autre côté de la place également on devinait facilement l’avancée des spectres aux lueurs et aux cris atroces qu’ils poussaient.
– On est foutus… murmura un membre du guet essoufflé à côté de Chat-Maigre.
D’autres l’imitèrent en se lamentant, des pleurs commencèrent à se faire entendre. Les mages se mirent à psalmodier leurs formules, le bout de leurs doigts libérant tantôt des étincelles, tantôt des éclairs.
Le Commandant fit face au groupe et s’adressa aux membres de la Cohorte, présentant son épée :
– Mes frères, mes fils, ce fut un honneur pour moi de vous guider par monts et par vaux. Il n’y aura peut-être aucun témoin de ce qui nous attend, mais faites…
– Les celliers ! Sire Hombert pointa du doigt les arcades et saisit le bras du Commandant. Hâtez-vous ! Il faut rejoindre les celliers !
Les différentes places de marché de la cité accueillaient de façon quotidienne les étals des vendeurs. Les plus riches d’entre eux pouvaient louer un des nombreux celliers qui se trouvaient sous les arcades et installer leurs stands sur le pas de porte du dit cellier, s’évitant ainsi la laborieuse logistique d’installation et de désinstallation de leurs produits, et surtout leur transport. Il était ainsi possible de gagner un temps précieux, et donc de vendre plus tôt, mais aussi plus tard que les autres. Les celliers étaient généralement très prisés et les plus grands se passaient de père en fils dans les familles riches, mais il arrivait de façon assez régulière, pour les plus petits d’entre eux, que le propriétaire ne puisse assurer le loyer et se voit contraint d’en rendre les clés. Le cellier vidé restait donc ouvert à tous le temps qu’un nouveau locataire ne prenne place, ce que ne prenait généralement que quelques jours.
Alors que le Guet et les gardes légataires se jetaient sur les portes des différents celliers, tentant d’en trouver une déverrouillée, voir éventuellement de forcer une serrure, Sire Hombert tannait les mages de son ton inflexible :
– C’est maintenant qu’il va falloir vous rendre uti…
– ICI ! la silhouette d’un civil à quelques mètres coupa net les diverses initiatives, il faisait de grand gestes de son bras gauche, montrant une porte de sa main droite. Il est ouvert !
Le groupe, gardes légataires et Légat en tête, se rua dans le gouffre béant d’obscurité qu’était le cadre de la porte. A l’intérieur un noir d’onyx, une odeur d’humidité, et les gens qui se piétinaient faute de voir ne serait-ce que le bout de leurs pieds. La porte fut refermée d’un claquement sec et, plongé dans la plus profonde obscurité, chacun put voir les doigts des sorciers commencer à crépiter d’étincelles de différentes couleurs. Le silence se fit, à l’exception de quelques pleurs et reniflements. Une des mains magiques se leva au-dessus des têtes et une toute petite flamme apparut quelques centimètres au-dessus, s’élevant doucement dans les airs en répandant une faible lueur sur l’ensemble de la pièce. Le mage qui en était à l’origine, petit et hirsute, la contempla d’un air satisfait alors que tout le monde pouvait constater que le cellier, en forme de L, était entièrement vide. De ce temps, l’autre mage, chauve, s’avança vers le porte en murmurant ses formules et l’effleura de la paume des mains. Un nuage d’épaisse fumée s’en échappa et sembla ramper sur la porte, lentement il se répandit sur toute sa surface et glissa sur son encadrement, avant de commencer à se répandre sur les murs en pierre, de plus en plus vite mais toujours aussi épais. Une fois l’entièreté des murs couverte de cette fumée, le mage changea d’intonation et récita une nouvelle formule, d’un ton plus ferme, presque inquisiteur. Un bruit de succion se fit entendre et la fumée pénétra le bois de la porte et la moindre cavité qu’offrait la pierre. Le mage s’assit alors au pied de la porte, gardant les mains posées sur celle-ci.
Le petit mage toussa doucement pour quérir l’attention de chacun avant de se présenter :
– Mesdames et messieurs, votre attention je vous prie. Pour ceux qui ne nous connaîtraient pas permettez-moi tout d’abord de nous présenter. Mon confrère ici présent est Effalid, mage du quatrième degrès du temple d’Acachi, et je me nomme Tarol, mage du Conclave de Sonita. Ce dont nous avons tous été témoins est une tragédie, et je ne doute pas que Sigmar vengera les proches que nous avons perdu cette nuit. Mais nous, ici présents, sommes vivants, et nous devons faire en sorte de le rester, collectivement, et faire preuve de patience. Effalid et moi-même sommes garants de votre sécurité tant que vous êtes entre ces murs. Le sort que vous l’avez vu jeter nous préserve des spectres, tant qu’il est actif ils seront incapables de nous trouver et de traverser ces murs, mais ce sort doit être maintenu, coûte que coûte, et pour cela lui et moi devrons nous relayer et ménager nos efforts, jusqu’à ce que les secours arrivent. Cela peut être dans quelques heures ou demain, nous n’en savons encore rien. Je vous demanderais donc de bien vouloir vous installer et de veiller à ne pas troubler le calme dont nous avons besoin pour maintenir le sort. N’oubliez pas, Tant que nous restons soudés, rien ne peut nous arriver.
Concluant sa tirade par un sourire chaleureux, il s’écarta ensuite du gros du groupe pour rejoindre son confrère à la porte avec qui il entama un dialogue qui semblait bien moins optimiste. Chat-Maigre ne put laisser traîner son oreille, le Commandant rassemblait déjà les gars de la Cohorte autour de lui. Il y avait des absents : le lieutenants Jabert et Bec-de-Lièvre, mais aussi le Gosse, Charretier, Loïc et Mignonnet. Triste nouvelle…
Le Commandant parla tout bas
– Les gars, on a perdu des frères, mais nous on a encore une chance, installez-vous et détendez-vous, pleurez et honorez nos morts… Faites ce qui sied, mais restez tranquilles. On sait pas pour combien de temps on en a donc pas d’esclandres. Le mago a raison, si on commence à se tirer dans les pattes avec le Guet ou les civils, tout le monde sera foutu, et ça je m’y refuse. Vous savez ce qu’il vous reste à faire : faites vous oublier.
Alors que les autres commençaient à creuser le sol de terre battue pour s’aménager des assises aussi confortables que possible, Chat-Maigre entreprit de faire un rapide compte des survivants. Hormis les deux mages, le Légat avait perdu sa cour et deux ce ses gardes. Sire Hombert était toujours présent, réconfortant 3 gars du Guet, dont un semblait avoir sa femme parmi les civils. Civils qui n’étaient pas moins d’une quinzaine et qui étaient majoritairement des hommes et femmes jeunes et valides, les autres n’ayant pas pu suivre le rythme de la fuite. Il s’étonna tout de même de voir une des femmes avec un bébé dans les bras. Un doute le prit :
– Commandant, demanda-t-il tout bas, qui est allé chercher les secours ?
Le regard qu’il eu en réponse parlait pour lui-même. Il n’insista pas et partit rejoindre ses compères. Il jeta au sol le peu de barda qu’il n’avait pas perdu lors de la fuite et s’allongea silencieux sur la terre battue, fraîche.
Un des doyens de la Cohorte aujourd’hui disparu, Cachile, avait survécut à deux sièges. Il en parlait peu. Hormis à Chat-Maigre, car celui-ci savait écouter et se taire. Avant de mourir Cachile avait ainsi pu vider son sac, petit à petit, au cours des ans, auprès de quelqu’un qui emporterait ses histoires dans sa tombe. Peut-être que ces quarts de veillées où le vieux se livrait avaient pour lui le parfum d’un confessionnal, au vu de ses anecdotes, de ses récits, de ses aveux.
De ces échanges à sens unique, Chat-Maigre avait tiré une certitude, dont il avait fait part à Cachile :
– Sigmar m’en soit témoin, le jour où je me retrouve assiégé, j’me fous en l’air.
Le vieux avait alors tiré un mince sourire sur sa face buriné en lui répondant :
– Je doute que tu sois de ceux-là.
Chat-Maigre tira doucement son poignard de son fourreau et commença à jouer distraitement avec, se demandant à qui, de lui ou du vieux, il allait donner raison.
[…] dans cet univers, avec toute la violence que cela implique. N’hésitez pas à relire la partie précédente pour reprendre le contexte du récit et ses protagonistes en mémoire. 😉Bonne […]